L’Eclectique vous propose un article de l’écrivain marocain Mohamed Nedali sur la nécessité de développer l’esprit critique des élèves et des étudiants par l’enseignement de l’Histoire des religions dans le monde arabe.

 

Depuis quatre décennies, la pensée wahhabite prédomine dans les milieux enseignants à travers le monde arabe – conséquence d’une politique délibérée de la part des dictatures en place qui ont trouvé là un moyen efficace de contrer les mouvements gauchistes, trop contestataires, à leur goût. La pensée wahhabite est largement diffusée dès l’école primaire à travers l’enseignement de l’éducation islamique – matière dispensée par des enseignants pour la plupart d’obédience salafiste, voire obscurantiste. Dans  les universités, c’est toute une filière, pompeusement nommée Les études islamiques, qui brasse les étudiants par milliers et où le taux de réussite est le plus élevé ! Les prêches galvanisants dans les mosquées et sur les chaînes de télévision wahhabite achèvent le travail entamé à l’école. Le résultat ne se fait pas attendre : deux générations de citoyens profondément imprégnés par les idées salafistes, sinon même djihadistes, dans certains cas.

Pressés par les gouvernements occidentaux qui commençaient à pâtir sérieusement de la montée de l’islamisme sur leurs territoires, les régimes arabo-musulmans décident de remédier à la situation. Ils modifient ainsi certains cours d’éducation islamique, en retirent les passages prônant l’apostasie, l’intolérance, la misogynie, y intègrent timidement certaines valeurs universelles… Rien n’y fait : l’école continue de crétiniser les esprits et de flatter les bas instincts.

Ayant enseigné durant une trentaine d’années au lycée public de mon pays, le Maroc, j’ai suivi de très près cette situation, en ai dénoncé à maintes reprises les dérives dans mes écrits ainsi que dans la presse, ai appelé à ce que notre école cesse d’être une fabrique de bigots… Les réformettes entreprises depuis quelques années, aussi bien ici qu’ailleurs dans le monde arabo-musulman, ne changeront rien à la situation. Le mal étant profondément ancré dans les mentalités, il n’y a pas d’autre remède que de le traiter à la racine, autrement dit bannir l’éducation islamique des programmes scolaires et la remplacer, non pas comme il se dit çà et là, par l’éducation religieuse – contre laquelle les enseignants et les inspecteurs de la matière s’élèvent d’ores et déjà – mais par l’Histoire des religions, discipline à part entière. Contrairement à l’éducation islamique qui interdit toute remise en question du texte sacré, l’histoire des religions le soumet à l’analyse rationnelle en recourant à des disciplines scientifiques comme l’archéologie, la sociologie, la linguistique,  la sémiologie…, démystifiant  ainsi le discours religieux et dotant par-là même les apprenants d’un outil qui fait terriblement défaut chez nos concitoyens, y compris ceux ayant fait des études supérieures : l’esprit critique. C’est l’absence de l’esprit critique qui fait que nos jeunes tombent comme des fruits mûrs entre les mains des artisans du grands noir et autres stratèges du chaos, gobant sans retenue leurs légendes gamines et leurs histoires à dormir debout. Et, de fil en aiguille, certains se radicalisent puis passent à l’acte, inévitablement.

Bien entendu, l’enseignement de l’Histoire des religions ne doit surtout pas être confié aux actuels enseignants d’éducation islamique, pour deux raisons essentielles : la première est que ces gens-là ne sont pas formés pour dispenser une telle matière, ne détiennent aucun outil intellectuel leur permettant de le faire ; la seconde est qu’ils se considèrent moins des fonctionnaires au service de leur ministère de tutelle que des soldats d’Allah ayant pour mission de défendre l’islam contre ses ennemis, nombreux de par la Terre. Au lieu donc d’enseigner l’Histoire des religions, ils enseigneront l’histoire de la religion, celle de la vérité unique, ce qui, au bout du compte, ne changera absolument rien à la situation actuelle.

Mohamed Nedali

Mohamed Nedali est écrivain du Maroc. Ancien professeur de français à Tahannaoute dans la région de Marrakech, il est notamment l’auteur de «Grâce à Jean de La Fontaine», roman, Casablanca, Le Fennec, 2004. «Triste jeunesse», roman, Casablanca, Le Fennec, 2012 (Prix de La Mamounia 2012). "Evelyne ou le djihad ?", roman, France, éditions de l’aube, 2016. Ses romans rencontrent un vif succès auprès du public et lui ont notamment valu le Prix Grand Atlas en 2005 et le Prix littéraire de la Mamounia en 2012.

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